dvorak-smallAntonin Dvořák est né le 8 septembre 1841 à Nelahozeves, petit village tchèque sur la Vltatva et proche de Prague. Son père, Frantisek Dvořák, est l'aubergiste et le boucher de ce village. Il dirige son commerce avec beaucoup de sérieux et consacre ses moments libres à la musique. Anton est le premier enfant de la famille Dvořák.

Dès l'âge de cinq ans, Dvořák joue du violon à l'auberge familiale puis fait partie de l'orchestre du village. Après l'apprentissage du métier de boucher, il est envoyé chez son oncle à Zlonice pour y apprendre l'allemand, langue indispensable sous le joug autrichien pour espérer s'élever dans la société. L'instituteur du village, homme intraitable, est un musicien passionné et enseigne l'orgue, le piano et l'alto à son élève. Il lui enseigne également l'harmonie et le contrepoint.

Dvořák s'essaye rapidement à la composition. Sa première œuvre est une polka. Ses parents viennent s'installer à Zlonice à leur tour. Ses études musicales seront retardées jusqu'à 1856. Liehmann, l'instituteur de Zlonice, persuade l'oncle de Dvořák de l'envoyer étudier à l'école d'organiste de Prague. A l'automne 1857, il est inscrit à l'école d'orgue de Prague. Il y acquiert les rudiments de la musique classique, Mozart et Beethoven en particulier, mais ne s'y plait guère en raison de l'antipathie de son directeur Josef Krejci.

En 1859, Dvořák obtient un poste d'altiste à l'orchestre de Karel Komzak. Il se passionne pour Wagner. Après l'ouverture du Théâtre National Tchèque, pour la première fois sont jouées des œuvres de compositeurs nationaux comme Smetana. Pendant son temps libre et pour arrondir les fins de mois, car il est pauvre, Dvořák donne des leçons de musique et, à cette époque, aborde la composition. Il écrit notamment ses deux premières symphonies qui sont très peu jouées de nos jours. Il lui faudra une dizaine d'années pour maîtriser la composition. Antonin rencontre Anna, une jeune fille dans une famille où il donne des leçons. Il se marie avec Anna Cermakova le 17 novembre 1873. Leur union fut longue et heureuse. Cette année-là, il démissionne de son poste dans l'orchestre pour celui d'organiste à l'église de St-Adalbert. Son premier grand opéra Le Roi et le Charbonnier est donné en 1874 et Smetana lui-même en donne l'ouverture. Il obtient alors une bourse de l'Etat autrichien destinée aux artistes peu fortunés. Il compose alors ses premières grandes œuvres : Sérénade pour cordes, Chants moraves, Symphonie n°5. L'année suivante, Dvořák postule à nouveau pour une bourse. Par chance, Brahms fait partie du jury. Celui-ci est convaincu du talent du jeune musicien et persuade son éditeur Simrok de publier des œuvres de Dvořák. C'est le début du succès international surtout après l'édition des Danses slaves.

Le compositeur entre dans une période très féconde malheureusement endeuillé par le décès successif de trois de ses enfants. En 1876, accablé de chagrin, il compose le Stabat Mater, chef d'œuvre poignant qui assure sa renommée en Europe. Il aura l'occasion de se rendre fréquemment en Angleterre où il a beaucoup de succès. Dvořák est maintenant à l'abri du besoin. Hanslick, le célèbre critique viennois, lui propose de s'installer dans la capitale autrichienne, proposition que le compositeur décline. Sa tournée en Russie organisée par Tchaïkovski est un triomphe. Sa popularité grandit durant les années suivantes jusqu'à la proposition du Conservatoire national de musique de New York qui lui offre la direction. Séduit par le projet et le salaire, il part pour New York en 1892. Excellent chef d'orchestre, Dvořák dirige lui-même ses œuvres. Son séjour sera triomphal et il y compose beaucoup et entre autres sa Symphonie n°9 "du nouveau monde", son œuvre la plus célèbre. Vers la fin de sa vie, Dvořák se consacre essentiellement à l'opéra : Le Diable et Catherine, Armide et Russalka. D'essence tchèque, ils couronneront son œuvre malgré l'échec d'Armide, son dernier opéra. Dvořák meurt brutalement le 1er mai 1904 des suites d'une congestion cérébrale. Il est enterré comme Smetana au cimetière de Vysehrad où il repose désormais près de la Vltatva.

Hommage

Le compositeur norvégien Edvard Grieg admirait profondément la musique de Dvořák. La nécrologie qu'il fit paraître le 13 mai 1904 dans le journal Verdens Gang de Christiana (aujourd'hui Oslo) mérite la plus grande attention. Elle nous offre un témoignage de première main sur le caractère parfois déconcertant du compositeur tchèque.

enterrement

J'ai reçu une lettre pleine de tristesse de Prague ; Antonín Dvořák est mort. Ce brillant compositeur tchèque, que le monde entier a appris à connaître, n'est plus parmi nous. L'un des compositeurs nationaux les plus originaux de notre époque est mort.

Ses nécrologies furent publiées dans les magazines et journaux danois il y a plus d'une semaine. Mais à Christiana j'ai examiné les journaux sans rien trouver. Cela signifie-t-il que nous sommes réellement indifférents à la nouvelle de la mort de Dvořák ? Une chose est certaine : nous sommes en deçà  de la décence la plus élémentaire. Et notre silence parle fort. Mais je ne suis pas pessimiste au point de croire que nous vivons autant au nord que la presse de Christiana pourrait nous le faire croire. C'est pourquoi j'estime que quelques mots sur le compositeur décédé sont dans l'ordre des choses.

Antonín Dvořák mourut subitement le 1er mai, à 63 ans. C'était un compositeur très fertile et il a composé beaucoup de styles de musique différents, avant qu'il n'attire l'attention de l'Europe. Ce fut Johannes Brahms qui le découvrit, pour ainsi dire, et le recommanda chaleureusement à notre attention. Au début des années 1870, je lus son nom pour la première fois, sur la couverture d'un recueil de partitions pour deux voix et piano. Ces si remarquables poèmes en musique sur des chants populaires tchèques, avaient largement de quoi faire connaître son nom, et c'est en effet ce qu'il advint. Ses mélodies se diffusèrent rapidement à travers le monde civilisé.

Mais Dvořák avait un idéal plus élevé. Il incorporait la musique populaire dans ses œuvres plus vastes, et il est clair que son imagination était tellement enrichie par cette source d'inspiration qu'elle compte parmi ses plus grands efforts créatifs. Dvořák embrassa toutes les formes de composition, des plus petites aux plus grandes. Il écrivit des opéras, des symphonies, des poèmes symphoniques, des ouvertures, de la grande musique sacrée et bien d'autres choses. C'est toutefois sa musique de chambre qui provoqua tant d'admiration de la part de tous ses contemporains. En plus des grands compositeurs classiques, il apprit de Brahms, et plus tard de Liszt et de Wagner - mais il reste vraiment original dans toutes ses œuvres. Ses quatuors et quintettes à cordes sont des chefs d'œuvres qui lui survivront sans l'ombre d'un doute.

Sa musique n'est pas souvent jouée en Norvège. Il y a plusieurs années fut joué à Bergen l'un de ses quatuors à cordes, et cela excellemment, par M. Arve Arvensen et ses collègues. L'évènement fit sensation. À Christiana, Johan Halvorsen interpréta il y a peu la symphonie dite Américaine, « Aus der neuen Welt ». Cela mis à part, je ne suis pas persuadé qu'il ait reçu beaucoup d'attention ici. À Copenhague, ses œuvres font partie du répertoire de concert habituel, grâce surtout à son compatriote Franz Neruda. En Angleterre et en Allemagne, il est également souvent joué, bien que les Allemands n'aient pas l'air de se réconcilier avec sa nationalité.

Mais c'est, depuis le début, en Angleterre qu'il a son plus grand et plus fidèle public. Je n'oublierai jamais l'excellente interprétation du Stabat Mater, l'une des plus magnifiques œuvres de Dvořák pour chœur, solistes et orchestre, au festival de Birmingham en 1888. Hans Richter dirigeait l'orchestre et son enthousiasme était contagieux, touchant les musiciens aussi bien que les spectateurs.

Dans les années 1890 Dvořák reçu une invitation pour diriger le Conservatoire de New York. Il ne put, cependant, s'adapter aux conditions américaines. Vaincu par le mal du pays il retourna à sa Prague adorée, où il vécu et travailla pour le restant de ses jours. C'est là que j'entendis son opéra Rusalka, une œuvre qui comporte les meilleures choses. L'opéra est basé sur la Petite Sirène d'H. C. Andersen. Dvořák vient de terminer un autre opéra récemment, Armida, mais il semble que cet opéra n'ait pas été aussi bien reçu lors de sa première.

Comment était Dvořák en tant qu'être humain ? Eh bien, sur cela je peux à peine émettre un jugement. Je le rencontrai pour la première fois il y a six ou huit années à Vienne. Un soir que je devais me produire en concert, il entra dans la pièce verte où je faisais nerveusement les cent pas avant le concert. En fait la pièce était un large couloir où beaucoup de musiciens s'agitaient. Quand j'appris que l'un d'eux était Dvořák, je m'emplis de joie et me précipitais pour le saluer. Mais je fus immédiatement stoppé dans mon élan. Il était sec, buté et laconique. Je renonçais à comprendre son attitude et en fis part à son ami Brahms le lendemain. « Ne vous tracassez pas », me dit Brahms, « C'est habituel chez lui. Il est bizarre, mais son cœur est au bon endroit ».

Par chance j'eus l'occasion de le vérifier par moi-même l'an passé. Je pus le connaître mieux par sa fille, qui a chanté mes Romances à un concert à Prague. Durant le concert et ensuite dans la maison de Dvořák, je pus le connaître comme étant un homme excentrique, charmant, franc et aimable. Il y avait quelque chose de profond et de fougueux dans son être, qui pouvait froisser ceux qui ne le connaissent pas. Cette impression disparut rapidement, et je suis heureux que ma dernière impression de lui est celle d'un homme qui prêtait simplement autant d'attention aux relations humaines qu'aux choses musicales.

Ses convictions politiques étaient profondément patriotiques et les Tchèques l'adoraient. Récemment, l'empereur austro-hongrois le nomma membre de la Chambre des Magistrats, un honneur qui n'avait été accordé à nul autre artiste.

On se souviendra d'Antonín Dvořák comme de l'une des seules personnalités musicales vraiment complètes de notre époque. La nouvelle de sa brutale disparition, alors qu'il était au summum de sa créativité, sèmera l'affliction partout et, je le crois, ici également.

Edvard Grieg
Traduction et commentaires Alain Chotil-Fani
http://perso.wanadoo.fr/alain.cf/

"Vous savez, je ne suis rien d'exceptionnel, je suis seulement un musicien tchèque ordinaire qui partout autour de lui entend de la musique, dans les forêts, dans les champs de blé, dans les torrents, dans les chansons populaires ; la nature, le travail, les récits sont les sources de mon inspiration. Faites l'éloge de ma musique mais pour moi le plus important sera ce qu'on pensera ici en Bohême. Je serai très touché et très heureux si ma musique est accueillie avec amour."

Ant. Dvořák
"Česke muzikantské Historky" de J. Celeda, Nakladatelstvi "Orbis" Praha XII (1939)